Déborder Bolloré
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Marque : Le Passager Clandestin

L'édition indépendante est en danger

Une centaine de maisons d’édition indépendantes se sont réunies pour publier le recueil collectif “Déborder Bolloré”. Objectif ? Dénoncer la concentration par des milliardaires et la montée de l’extrême droite dans l’édition et les médias. L’ouvrage propose aussi des pistes de réflexion pour l’avenir du livre. Florent Massot, coéditeur du recueil, éditeur et journaliste, évoque les conséquences sur le secteur. 

Un livre coédité par plusieurs maisons d’édition : Matière Grasse, RAG, Les éditions sociales, La Dispute, Association Presse Offset, Hématomes Éditions, éditionsMagiCité, Burn~Août, divergences, Rotolux Press, éditions Excès, Même pas l’hiver, Les Prouesses, Winioux, Cosmic Studios, AFRIKADAAA, bibliothèque fifi turin, maison trouble, Idoine, Adverse, En 3000 éditions, Goater, Agone, éditions fier·es, La Grange Batelière; Multimédi@, éditions du commun, les vilains, Evalou, Le Sabot, Syllepse, Lorelei, éditions terres de Feu, Selma & Salem, Copie Gauche, Yovana, Les éditions du bout de la ville, La Volte, Le Calicot, éditions Daronnes, zoème, Hélice Hélas; éditions Véliplanchistes, Éditions de la rue Dorion; Massot éditions, Anacaona, Fémixion, trouble; solo ma non troppo, katadorquie, Abrüpt, éditions b:t, le passager clandestin, 16b éditions, Lézard des Mots, L’Amazone, milgrana, Le Carnet d’Or, Nada, Surfaces Utiles, Paraguay, Tache Papier, M Éditeur, Courgette Editions, Îlot, Editions Météores, OLNI, Éditions petites singularités, Bluff books, Miam, Dépense Défensive, Les Règles de la nuit, Phenicusa Press, YBY Éditions, Libertalia, les éditions sans escale, éditions des Trois Canards, Les Éditions du Portrait, Courte échelle, L’Œil d’or, NONFICTION, L’atelier du poisson soluble, primitive press, Oui’Dire éditions, ÉDITIONS MF, Rue de l’échiquier, Ness Book, éditions des Lisières, Hors d’atteinte, Tusitala, Dépaysage, Ici-Bas, Atelier Téméraire, Éditions de l’Atelier, Archives de la Zone Mondiale, FSB Press, C&F éditions, Rackham, Acédie 58, Le Muscadier, Terrasses, HCKR, éditions silo, La Boucherie Littéraire, les éditions du gospel, Chemin des Crêtes, ARNAUD BIZALION ÉDITEUR, Les éditions FM, Présence(s) éditions, Bouclard éditions, Strandflat, PVH éditions, Éditions de la rue de l’Ouest, Les Monts Métallifères, pan, Maison des éditions, La Lenteur, Écosociété, Le Détour, Super Loto Éditions, sahus sahus, Les Étaques, Le Ver à soie, Revue Fotocopias, The Hoochie Coochie.

Avec les contributions de : Bakonet Jackonet, Alexandre Balcaen et Jérôme LeGlatin, Jean-Yves Mollier, Valentine Robert Gilabert, Florent Massot, Antoine Pecqueur, Amzat Boukari-Yabara, Pascale Obolo, Le Comité éditorial des éditions du bout de la ville, Clara Pacotte, LABo–Libraires Anti-Bolloré, Soazic Courbet, Arnaud Frossard et Julie Wargon, Tristan Garcia et Charles Sarraute, Clara Laspalas et Danièle Kergoat, Karine Solene Espineira, Thierry Discepolo, Les Soulèvements de la terre.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste le projet “Déborder Bolloré” ?

Florent Massot : Il y a deux choses à la fois, effectivement : l’aventure collective d’avoir des éditeurs qui se regroupent — c’est quand même assez inédit. Une première campagne avait déjà été lancée au sujet d’auteurs palestiniens. À l’issue de ce projet, certains éditeurs avaient décidé d’éditer des écrivains, poètes et auteurs palestiniens en coédition. Ensuite, l’idée est venue d’utiliser le même procédé, en coédition avec l’édition indépendante, mais en prenant Bolloré comme exemple, puisqu’il représente le cas le plus évident de concentration dans l’édition.

Ainsi, après son rachat d’Hachette, la plus grosse maison d’édition en France, il devient presque le leader du secteur, avec son côté affilié à l’extrême droite de plus en plus visible. D’où l’idée d’appeler le recueil “Déborder Bolloré”. De nombreuses actions ont aussi été engagées l’année dernière autour du milliardaire breton, comme des opérations de boycott de la promotion de l’extrême droite par Bolloré.

Puis le collectif “Déborder Bolloré” a contacté différentes personnes un peu spécialisées dans le domaine, sans se focaliser uniquement sur les éditeurs. En laissant également parler des libraires et des imprimeurs — un peu toute la chaîne du livre. Des historiens et spécialistes de l’édition se sont aussi agrégés à cette dynamique.

Je me suis greffé là-dessus parce que j’avais écrit l’article “Comment le capitalisme flingue l’édition” pour le média en ligne Blast. Depuis plusieurs années, j’avais constaté qu’un grand danger planait sur l’édition indépendante. D’ailleurs, j’avais déjà participé à une émission, il y a 3 ou 4 ans, autour de Bolloré et de sa mainmise sur l’édition. Avec Arié Alimi, nous étions tous les deux invités par Denis Robert, journaliste et fondateur de Blast.

J’avais ensuite prolongé cela par l’article que j’ai évoqué précédemment. Quand j’ai su qu’un recueil collectif allait être publié, j’ai écrit au mouvement “Déborder Bolloré” pour apporter mon soutien et leur expliquer que, si ça les intéressait, je pourrais adapter mon article. On l’a donc mis à jour et ajouté quelques références. L’aspect agréable d’une collaboration avec plusieurs éditeurs permettait d’avoir plusieurs personnes qui passaient au crible l’article, en me demandant de justifier tel ou tel argument. Un vrai travail éditorial a été réalisé collectivement.

Comment expliquez-vous que Bolloré ait une telle emprise sur l’édition ?

Florent Massot : Tout d’abord, l’édition a toujours attiré des gens fortunés. C’est un peu comme la presse. Un parallèle doit vraiment être fait entre ces deux secteurs, parce qu’ils permettent de diffuser de la propagande — qu’elle soit bonne ou mauvaise.

La problématique de l’édition et de la presse réside dans le fait que ce ne sont pas des domaines rentables, à l’inverse de l’industrie. En outre, l’édition a besoin de trésorerie, donc d’avances d’argent. Comme cet apport ne provient pas des banques ou de l’État, il est comblé par les grosses fortunes. Et il se trouve que les plus riches se situent à droite, voire à l’extrême droite.

Bolloré s’est beaucoup enrichi en Afrique. Héritier du colonialisme, il peut racheter des petits titres de presse. Hachette a un impact colossal, surtout à l’international. Le groupe est présent aux États-Unis, en Espagne… Il a d’abord racheté Editis, puis l’a vendu à son ami milliardaire Kretinski pour pouvoir acquérir Hachette. Il aurait aimé posséder les deux pour contrôler 50 % de l’édition, mais la Commission européenne s’y est opposée. Il a donc dû se séparer d’Editis.

Il reste toutefois en position dominante, avec un quasi-monopole dans certains secteurs. Il pousse une ligne politique ultra-conservatrice, catholique, intégriste. Plus il contrôle la presse et l’édition, plus il s’autorise des propos réactionnaires.

Stérin, de son côté, a investi 150 millions d’euros dans le projet Périclès — également d’extrême droite. On retrouve là la même logique de pouvoir, d’entrisme, mais cette fois portée par une idéologie assumée.

Fayard maintient une apparente pluralité en gardant quelques auteurs “de gauche”, mais la balance penche nettement. Hachette risque de devenir une maison d’édition qui ne publie que des auteurs d’extrême droite. Ces oligarques remplacent les éditeurs par des propagandistes. Dans les Relay, la mise en avant de livres d’extrême droite est flagrante. Le phénomène s’est banalisé.

Dans le recueil, vous affirmez que la concentration de l'édition a provoqué un système de best-sellerisation. Quel regard portez-vous là-dessus ?

Florent Massot : Le rêve des milliardaires dans l’édition, c’est la rentabilité financière, tout en diffusant leur idéologie. Le dernier livre de Bardella s’est vendu à 190 000 exemplaires. C’est rentable, et ça colle à leur ligne politique.

Ils se désintéressent des ouvrages qui ne collent pas à leur vision, même s’ils pourraient rapporter. Ils rationalisent leur activité, demandent des comptes d’exploitation. Une autrice a récemment été refusée par une grande maison parce que son manuscrit n’était pas jugé assez rentable — décision venue directement de l’actionnaire.

Cela laisse très peu de place aux premières œuvres. Ces groupes préfèrent racheter des auteurs déjà connus. Ce sont des stratégies financières : un auteur qui a déjà vendu 40 000 exemplaires est “prévisible”. Plus on applique des logiques industrielles à l’édition, moins on prend de risques.

Nous, éditeurs indépendants, choisissons d’abord les textes qu’on aime. On reste vigilants sur la viabilité économique, mais ce n’est pas ce qui guide notre choix. Les grands groupes, eux, autorisent à peine une ou deux “découvertes” par an.

Ces oligarques sont plus préoccupés par la rentabilité que par la qualité littéraire. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Florent Massot : Pour eux, la qualité est secondaire. Un livre “de qualité” est un livre qui rapporte ou qui véhicule une idéologie. Les best-sellers qu’ils publient sont souvent médiocres.

Houellebecq, par exemple, est l’un des rares à conjuguer notoriété, qualité littéraire et adhésion à certaines idées de droite. Mais la plupart des titres sont “jetables”, sans valeur littéraire durable.

Le capitalisme applique à l’édition les mêmes logiques que dans tous les secteurs : standardisation, court-termisme, destruction de la diversité. Dix oligarques possèdent aujourd’hui 90 % du marché. La concentration pousse à l’écrasement de tout ce qui ne rentre pas dans la norme. Il est temps de construire un autre modèle.

Florent Massot : Il est déjà en réimpression. Près de 9 000 exemplaires ont été vendus. Le succès est là. Maintenant, il faut réfléchir à la suite : un second recueil ? Une bourse de soutien pour les éditeurs indépendants ?

Une réunion est prévue en septembre avec l’ensemble des éditeurs participants. En parallèle, des débats sont organisés un peu partout en librairies. Le collectif d’auteurs et d’éditeurs permet une présence active sur le terrain. C’est aussi ça, la force du projet.

Hervé Hinopay

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